La mère

Comme la petite chèvre de Monsieur Seguin, elle a lutté. Tout le jour et toute la nuit, pendant des jours et des jours. Elle a essayé toutes les luttes qu’on lui avait enseignées, en constatant qu’il y en avait très peu d’efficaces. Elle a utilisé le mot, la parole, d’abord, au téléphone, puis par lettres, par messages. Submergée par la colère née de la peur de cette chose imprécise qu’elle attendait depuis leur naissance, sans vouloir s’y arrêter, sans vouloir y penser. Effrayée de mettre en mot ce malheur qui ne rodait plus, qui était bien là, devant elle soudain matérialisé. Les mots, elle les a écrits. Des mots d‘amour, de paix, d‘apaisement, ce tendresse.

Elle a reçu les réponses. Elle les entends encore :

” Tu n’est plus ma mère..”

“Je te reprocherai toujours de m’avoir mis au monde ..”

” Je ne veux plus te voir « 

” Et ce n’est pas moi qui souffrirais le plus..”

 « J’ai fait ma vie, je n’ai plus besoin de toi « 

 » Il n’y a aucune place pour toi dans ma vie maintenant « 

 » Ne compte pas sur moi « 

 » je n’ai pas le temps « 

« je travaille, moi « 

Elle a lutté contre le silence, avec le silence. Ne les a plus contactés pendant des mois, des années. Ils sont revenus, au bout de quelques semaines pour l’un; quatre ans plus tard pour l’autre. L’un se disait contrit. L’autre faisait comme si rien ne s’était passé entre eux. Ils la retrouvaient comme ils l’avaient laissée, un peu plus vieillie chaque fois, mais à peine s’en apercevaient-ils, trop occupés par leurs soucis, leur famille, leurs enfants, leur boulot, leur maison, leurs vacances, leur belle-famille, leur voiture, leur bateau, le ski, la musique, les copains. 

Elle a longtemps tout fait pour rester semblable à elle-même : souriante, attentive, agile. Aimante. Ca lui a pris vingt ans.

Pendant ce temps, patiemment, elle faisait du chemin dans la renonciation.

Et ce jour est arrivé, ce jour où elle comprends enfin qu’il n’y a plus rien de commun entre elle, la mère et ces deux hommes qui ont été ses fils, qui l’ont rejetée, meurtrie, insulté. Qui lui ont menti, qui ont crié des mots de haine et de violence qu’elle repousse, mais qui sont là, qui la narguent.

Plus rien de commun avec les enfants qu’elle a portés et mis au monde. Pour qui elle aurait donné sa vie. Pour qui elle a donné une partie de sa vie, sa jeunesse, sa santé, sa liberté.

Là, ce matin, dans la clarté de l’aube, elle comprend soudain qu’elle ne les aime plus.

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6 commentaires to “La mère”

  1. Ce sont de terribles choses qui arrivent.

    • Plus souvent qu’on ne le croit, mais évidemment, il n’est pas de bon ton de le clamer haut et fort.
      Heureusement qu’il y a les blogs pour le dire et les mots pour le chanter. La mise en mots soulage.
      Pas toujours drôle d’être enfant, et pas drôle non plus d’en avoir fait. La seule consolation : ils vieillissent, eux aussi.

  2. Et leur écrire à eux, y avez-vous pensé ? Il faut tout tenter, tout. La capitulation ne peut venir qu’après.

    • il n’y a pas eu capitulation, il y a un renoncement, étalé sur de longues années, un renoncement qui s’est transformé en un no man’sland, terre de paix factice : comme quand tout est débranché, dans le sens de « hors branches », ce qui me faitpenser aux oiseaux lancés hors nid par leurs parents.
      Et c’est la loi, parait-il : on nous le chante sur tous les tons.
      Je suis amère par l’amour perdu par la faute de ces lieux communs qu’une société connarde et sévère inflige aux femmes-mères en leur imposant à la fois la soumission à l’enfant-roi alors qu’au contraire, on ne devrait pas se soumettre ; et qui, (ces lieux communs qui ) d’autre part, entraînent à une démission chapeautée d’irrespect et d’insolence, sous couvert de « ils sont jeunes, il faut que jeunesse passe,… » et d’autres, aussi stupides.

      Ce n’est pas si simple, bien entendu. Et chaque cas est particulier.

  3. J’espère que le temps arragera les choses et en apaisera d’autres.

  4. Emotions ambigués en lisant votre texte ci-dessus, Mary: il m’arrive aussi d’éprouver une telle colère, doublée de lassitude, de peur, de tristesse. Et puis, comme aujorud’hui, je pense à ce moment de leur naissance.
    Et l’amour revient en force, celui qui pardonne tout, qui oublie tout,qui reconstruit tout. Celui que nous croyons avoir perdu.
    Oui,quand on repense à leur naissance, tout s’efface, et l’amour revient en force.

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